Hier soir, soirée DVD : Le Labyrinthe de Pan.

A vrai dire, deux personnes en qui j'ai une confiance artistique prononcée m'avaient, chacun de leur côté, conseillé ce film depuis longtemps, je l'avais donc acheté les yeux fermés et laissé au hasard d'une occasion et d'un moment, au hasard d'hier soir.
Que dire sans gâcher aux deux lecteurs et demi qui parcourent ces lignes le plaisir d'une découverte ? Beaucoup ont crié au génie, et je ne peux, pour une fois, qu'hurler avec la foule. Guillermo Del Toro a su me prendre par surprise (le grand fou). Car en voyant l'affiche, en lisant de brèves lignes de résumé, je m'attendais vaguement à une idée de film et il s'avère que je me suis trompée en plein. En effet, je m'attendais à un schéma utilisé mille et une fois, souvent avec beaucoup de talent, d'une réalité dure et cruelle qui bascule soudain dans un monde fantastique et merveilleux par l'entremise d'un/e enfant qui fait le lien entre notre réalité et l'imaginaire onirique rêvé par un/e fou/folle. Un film qu'enfants et adultes pouvaient regarder main dans la main en se laissant bercer par des lumières douces-amères. Ce qui m'aurait d'ores et déjà comblé.
Mais non, c'est beaucoup plus tordu que cela. Il s'agit en effet d'un monde réel bien dur et cruel, et pas n'importe lequel, celui des milices franquistes de l'Espagne des années 40, celui d'une garnison isolée dirigée d'une main en acier trempé par un Capitaine sadique, interprété par un Sergi López dont le talent n'est plus à prouver, celui d'une poignée d'hommes et de femmes, en uniformes pour les uns, en tabliers pour les autres, celui d'un groupe d'effrontés rebelles cachés dans les bois alentours, celui de résistants infiltrés, celui de la femme du Capitaine très enceinte et en mauvais état de santé, celui de sa fille Ofélia, née d'une précédente union, qui se réfugie dans les livres et croit aux fées, planche de salut dans cette âpreté ambiante. Mais là où on attendrait que ce monde trop laid et trop réel s'efface pour laisser place aux fantaisies colorées d'Ofélia et du faune à l'allure des plus sauvages gardien du labyrinthe de pierre, le coeur se serre pour une première fois, quand la petite fille ne se contente pas de sauter dans le tronc d'arbre pour suivre un lapin blanc bien propret mais doit, dans ce tronc d'arbre dont on sentirait presque l'odeur nauséabonde depuis son fauteuil, tuer un monstrueux crapaud dans la boue aussi visqueuse que les bois extérieurs. Car la petite Ofélia, triste à pleurer de la mort de son père, doit subir des épreuves pour que le faune puisse juger si elle est bel et bien la petite princesse disparue vouée à devenir immortelle en son royaume, et que son père le Roi recherche désespérément.
Et après ce succès, nous revoilà plongés dans le monde tel que nous l'apprenons dans les livres d'Histoire, avec quelques scènes d'une violence assez insoutenable, ce qui est d'autant plus paradoxal que j'ai vu des scènes bien plus violentes sans sourciller dans d'autres films. Mais ici, la violence est montrée sans détour, le contexte est tel et le contraste avec la quête de la jeune héroïne si saisissant que l'on est rapidement au bord du malaise. Le film se déroule ensuite en deux histoires sans autre lien apparent qu'Ofélia, alternant le sang et l'horreur de la "vraie" guerre et la guerre que mène la petite fille, alternant les luttes et les souffrances de Mercedes la courageuse résistante d'une Espagne très réaliste et d'Ofélia la princesse un peu perdue d'un autre royaume éthéré.
Jamais nous ne plongerons la tête la première dans le doux royaume des fées sans revenir brutalement dans la mort, le sang, les batailles et la torture dont un seul homme est responsable en cette garnison : le monstre absolu qu'est le Capitaine Vidal, beau-père d'Ofélia qu'elle rejettera au profit de son père d'ici, absent adoré, mort à la guerre, et du Roi de là-bas, dont on sait qu'il était abattu par la mort de sa fille et qui recherche donc sa princesse disparue. Une mort tragique dans un livre d'Histoire en reflet d'une mort tragique dans un livre de conte de fées.
Et reste la question qui rend le film si poignant, en plus d'être magnifique : peut-on dire que la fin est heureuse ?
Un chef d'oeuvre de lumière dans la nuit de la guerre, de nuit dans la lumière des fées.